Noire
et si jolie (2)
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"La
petite source, sans nom comme toutes celles dont l'eau trop rare pour
former un faible ruisseau, suffisait à peine à faire un terrain de
haum-moor, retraçait toutefois à leur esprit une signification
précise et vénérable.
Plus tard, quand les Gaulois, perdant peu à peu leurs pures croyances
sous l'influence désastreuse des étrangers, furent tombés dans le
culte idolâtrique, ils commencèrent à adorer ce qui autrefois était
simplement en vénération, les fontaines surtout, qui réalisaient à
leurs yeux obscurcis les attributs d'une Providence bienfaisante.
Les
premiers missionnaires chrétiens, comprenant la difficulté de faire
disparaître du cœur du peuple cette vénération idolâtrique pour les
fontaines, firent ce qu'ils avaient déjà fait pour les ménirs sur
lesquels ils avaient gravé le signe de la Rédemption. Ils placèrent
auprès des sources, des croix, des statues de la Sainte Vierge, cherchant
ainsi à rendre la pureté aux croyances en éclairant les esprits.
La fontaine de
Marceille dût, comme les autres, être ornée d'une statue de la Sainte
Vierge.
Est-ce celle qui, perdue au milieu des tourmentes des invasions
Sarrasines, a été plus tard retrouvée et placée avec honneur dans le
sanctuaire destiné à la recevoir ? Cela nous parait fort
probable. Cette image de la Sainte Vierge, tenant sur ses bras son divin
Fils et sculptée dans un bois noir, indique sa provenance
orientale : sa position auprès d'une fontaine, et c'est bien dans
un champ voisin de la petite source qu'on l'a retrouvée, nous désigne
les premiers temps du Christianisme dans les Gaules."
C'est ainsi qu'Henri Boudet dans son ouvrage (La vraie langue
celtique ou le cromleck de Rennes-les-Bains) évoque le culte voué à
Notre Dame de Marceille et son rattachement aux premières communautés
chrétiennes, réformatrices de vénérations "idolâtriques". |
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Henri
Boudet a parfaitement raison, en tout cas au tout début de ce texte.
Car ce qui a véritablement causé problèmes aux première communautés
chrétiennes ne fut pas "la vénération" des sources pour
leur pouvoir guérisseurs et bienfaisants, mais bien
"l'adoration" et l'assimilation de ces lieux à quelques dieux
ou déesses interdites par le nouveau culte chrétien dominant.
Henri Boudet a encore raison quand il nous apprend que
si ces vierges ont remplacé de potentiels cultes, ce ne sont pas forcément ceux,
primitifs des celtes. Car il n'existe pratiquement pas de vierges noires en
Bretagne, pays celte et fortement christianisé. Au contraire, les
vierges noires sont très présentes sur les voies d'introduction de la
culture gréco-latine en France (Marseille, vallée du Rhône et
Roussillon), laissant plutôt supposer un remplacement de divinités
propres aux conquérants ou commerçants par le culte Marial.
Ainsi,
les déesses mères étaient le plus souvent représentées seules,
parfois en état de gestation, alors que les vierges noires nous
présentent toujours leur fils à la manière d'Isis présentant Horus.
Il est étonnant que lors de leur destruction par la furie
révolutionnaire, ces vierges aient été brûlées aux cris de "A
mort l'égyptienne" ! Très probablement donc ces Vierges ont en
effet remplacé des déesses "adorées" par les conquérants
romains ou des commerçants grecs ou phéniciens.
Le culte ancien de la grande Mère Cybèle fut sûrement lié à un
culte plus ancien encore autour de l'eau, il était tout
particulièrement lié à celui du taureau. Le syncrétisme religieux
s'est servi de cette mémoire populaire à Belissima-Cybèle, Astarté,
Démeter ou
encore Perséphone, Isis ou Artémis... grandes reines de fertilité et de guérison,
(noires aussi parfois comme Isis ou Démeter) pour y
substituer plus tardivement et de déesses en déesses, Marie.
Rappelons encore que le culte mariale ne s'est établi que tardivement officialisé au IV
ème siècle (Concile d'Ephèse en 431), il a prit toute son ampleur au XII
ème
siècle, sous l'impulsion de St Bernard, le culte des images sera
interdit jusqu'en 851.
Nous
sommes assez loin des celtes dans tous les cas.
St Bernard qui le premier associa à la vierge Marie, les très beaux
vers du "Cantiques des cantiques" : "Je suis noire, moi,
mais jolie...". |
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Les
plus antiques légendes comme celle de Chartres prétendant qu'existait
chez les gaulois un culte à la virgo paritura, antérieur à la
naissance même de Marie mais l'annonçant, se sont avérées être des
créations tardives, non sans intentions.
D'autre
part, attribuer cette vierge aux premiers missionnaires chrétiens est
une autre erreur car ces sculptures d'origine romane sont au mieux apparues au
IX eme siècle.
Ces vierges assises, "en majesté"
portant leur fils ont été au tout début conçues pour être des
reliquaires (on a retrouvé sur les quelques exemplaires originaux
encore conservés des ouvertures donnant accès à ces reliques). Car
bien que présentées pour nous donner l'impression qu'elle est debout,
la vierge de Marceille est en réalité assise, mais parée d'une robe en forme de
cloche visant à masquer cette position comme la vierge noire du Puy en
lança la mode.
Cette robe cloche donnait l'impression d'une statue plus grande, plus
visible lors des processions mais aussi masquait avantageusement la
piètre qualité de sculptures où seuls des visages étaient
parfaitement réalisés.
Henri Boudet sous-entend encore pour justifier la
couleur mat de la peau de cette vierge, une origine orientale faisant
allusion à une explication courante mais erronée d'un transport de ces
figurations de l'orient à l'occident au temps des croisades. Alors que
l'on sait que des cultes étaient rendus à ces vierges bien avant
notamment en Auvergne.
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Mais dans le cas de Notre Dame de Marceille, il parait fort probable que
la structure de cette vierge ait été plus tardive d'un siècle que ne veulent le croire les
monuments historiques.
Au XIIème siècle, la vierge est
représentée "en majesté", son fils en son giron (sur ses
genoux), puis plus tardivement, au XIIIème Jésus est sculpté sur un seul
genou, le gauche. La vierge du Romiguier du XIIIème siècle
se rapproche pour beaucoup de celle de Marceille, légende comprise, le
christ est bien sur le genou gauche.
D'autre part, les représentations romanes n'étaient
pratiquement jamais souriantes, mais le plus souvent hiératiques et
froides. Il serait donc fort possible que les têtes de la Vierge et de
l'enfant aient été modifiées bien plus tardivement avec l'arrivée de
Vierge plus souriantes. Ce qui expliquerait peut-être le port peu naturel
de la tête du Christ sur l'image ci-dessous et le détachement de la
tête de sa mère lors du vol commis à Notre Dame de Marceille récemment.
Henri Boudet nous dit encore que la vierge tient son enfant sur ses bras,
preuve qu'il n'a jamais connue la statue sans ses ornements de tissu car
en réalité, elle le porte bien sur un genou.
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Enfin,
cette vierge fut-elle réellement sculptée dans un bois noir, comme le
prétend, peut-être malicieusement l'abbé (et il est à noter qu'il
met en évidence ces deux mots en les imprimant en italiques ) ?
Des restaurations récentes d'autres vierges "noires" ont fait
ressortir dans la plupart des cas la peinture polychrome d'origine
prouvant que la couleur noire ne fut certainement apposée qu'au sortir
du moyen-âge, pour certaines au XIXème siècle !. La barbarie récente perpétrée sur la vénérée
relique de Marceille laisse sans le moindre doute voir une nature de
bois qui n'a rien de noire ! le positionnement des têtes paraissant peu
naturel et surajouté, il serait fort possible que l'ensemble n'ait
été qu'une sorte de rafistolage, peut-être à la suite de vols et
saccages du passé, montage protégé des regards par l'ample robe.
Là encore, la volonté de rivaliser avec d'autres sanctuaires
populaires fait craindre certaines manipulations. Les vierges noires
étaient recherchées pour leur réputation miraculeuse, leur profond
mystère ou la légende de souvenirs de croisades et de là à forcer
un peu les choses ...
Mais, il demeure une autre hypothèse et une autre observation que nous
évoquerons dans le troisième volet de cette étude... |
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Quant aux
légendes qui entourent la vierge de Notre Dame de Marceille, elles
n'ont malheureusement absolument rien d'original. Il est fait très souvent mention d'une découverte fortuite due à
des laboureurs, des bœufs ou des taureaux (8 fois sur 10), comme pour
Notre Dame du Romigier à Manosque ou Notre Dame du bon secours à
Arceau, à un rapport à des ronciers ou des arbres : saules, chênes et
ormes (comme à Castelferrus - 82) mais
surtout à la proximité d'une source ou d'une fontaine.
Ces vierges protégées
par la nature attendent cachées et une fois mises au jour par des
bergers ou des animaux ( mais jamais par des ecclésiastiques ! ) n'ont
souvent de cesse que de retourner à leur lieu d'origine.
En conclusion (provisoire), nous comprenons bien que Notre Dame de
Marceille, bien que pouvant attiser la folie de collectionneurs ou de
chercheurs mentalement perturbés n'a rien de bien originale à un
détail cependant que nous analyserons dans la page suivante consacrée
à cette statue : le fait que son fils soit blanc et elle noire !
Christian Attard
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Notes
et sources :
Sophie Cassagnes-Brouquet - Vierges noires - Éditions du
Rouergue
Jean-Pierre
Bayard - Déesses mères et Vierges noires - Éditions du Rocher
Emile Saillens - Nos Vierges noires - Paris 1945
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Deux
autres vierges noires sont répertoriées dans l'Aude :
à Carcassonne - Église St Vincent - Notre Dame de la Parade et à
Sainte-Colombe-sur-l'Hers - Notre Dame de Parisde |
Notre Dame du Romigier à Manosque,
elle inspira à Jean Giono sa
nouvelle :
"Entrée de la Vierge noire" |
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