François Fayet, peintre et alchimiste

On peut admirer dans l'église St Jacques de Montauban, construite au XIII° siècle (et comme nombre de nos églises souvent remaniée) plusieurs beaux tableaux, malheureusement là encore très mal exposés. Celui de Saint Bernard n'échappe pas à l'indigence commune. Il est pourtant des plus instructifs. La notice des monuments historiques le concernant est peu détaillée et ne fait qu'en reprendre sommairement la description. Elle nous apprend cependant que les armoiries figurant au bas droit de l'œuvre sont celles de l'évêque de Montauban, Monseigneur Bertier qui exerça de 1652 à 1675 et que ce tableau est l'un des quinze tableaux "des apostres ou austres" mentionnés dans l'inventaire après décès du Monseigneur. Trois subsistent aujourd'hui un terrifiant Saint Benoît et un Saint Jacques le majeur.

St Bernard en prière de François Fayet - Église St Jacques de Montauban (82)

La renaissance de St Bernard

Longtemps remisé, on doit à M. Gabriel Burroni la redécouverte de ce tableau et son attribution au peintre toulousain François Fayet (1630-1708). 
Fayet, natif de Reims, s'installa à Toulouse en 1656 après une solide formation en peinture. Il travaillera essentiellement pour divers ordres religieux et on peut encore aujourd'hui contempler à Toulouse dans certains riches hôtels ses plus belles fresques. Il s'éteindra en 1708, et léguera son atelier à son gendre Jean II Michel.
Bien qu'une thèse récente ait enfin été consacrée à Fayet, c'est par une vieille notice biographique (1) sur ce Jean Michel, peintre lui aussi, que nous en apprenons un peu plus sur François Fayet. Nous y découvrons que, contaminé par la passion de son beau-père, Michel associé à un certain Dumont s'adonne à... l'alchimie ! Et que leurs connaissances étaient suffisamment solides pour que leur soit octroyé le titre d'inspecteur des mines du Royaume.
Fort de cette information solidement validée puisque les biographes précisent que Michel finit ses jours dans une quasi indigence à cause même de cette démesure alchimique, il est intéressant de regarder de plus près ce Saint-Bernard. Nous aurons alors la bonne surprise de constater une bien étrange manière de terminer le BERNARD..US mais surtout de retrouver une inversion désormais bien connue dans les mystères du Razès : celle du "N" de INRI !

Une fois encore cette lettre est placée ainsi n'en déplaise aux esprits forts qui n'y veulent voir qu'une erreur ou tout au plus une sorte de maniérisme de graveur ou de peintre.
Nous savons que l'acronyme du Titullus crucis apposé sur la croix du Christ :
INRI, enferme l'expression latine Iesvs Nazarenvs Rex Ivdeorvm : Jésus le Nazoréen, roi des Juifs. 

Sur le tableau de la "crucifixion" peint par Signol en l'église Saint-Sulpice, il est écrit en 3 langues : hébreux, grec et latin selon l'usage romain. Et le N est inversé ainsi que celui de la signature même du peintre. "Erreur" qu'il ne commet pas par ailleurs. 
Nous savons aussi que ce même "N" est inversé sur la croix surplombant la tombe de Bérenger Saunière. 

Mais cet acronyme peut aussi signifier en matière d'alchimie, et nous venons de voir que François Fayet fut peintre le jour et alchimiste la nuit :  Igne Natura Renovatur Integra : Par le Feu, la Nature se Régénère Entièrement. Condensé de tout le processus alchimique cette expression trouve dans la mort du Christ sa parfaite illustration spirituelle.
Bien sûr cela pourra sembler être "tiré par les cheveux", alors retournons vers ce tableau en considérant par défaut qu'il vient de nous mettre sur une piste alchimique. Ce serait bien le Diable n'est-ce pas, si la coïncidence voulait que nous découvrions une autre allusion au noble art !
Le détail est infime sur le tableau de François Fayet, inexistant à ma connaissance dans le pourtant très riche ouvrage de Jacques de Voragine  consacré à l'hagiographie des Saints : "la légende dorée" mais l'épisode est parfois attribué à St Bernard, en effet.

St Bernard aurait été abreuvé de quelques gouttes du lait de la vierge !! Bernard était en prière dans l'église Saint-Vorles de Châtillon-sur-Seine devant une statue de la Vierge,  il prononça  "monstra te esse matrem" (montrez-vous notre mère), la statue devint vivante et pressant son sein lança du lait dans sa bouche. 
Et c'est bien en effet ce que nous voyons ici (je vous promets une meilleure photo, mon téléobjectif a ses limites malheureusement !). Une oeuvre exposée au Musée du Prado est à ce titre plus "lisible" et peinte par Alfonsa Cano vers 1650.

En conséquence rien que de très "normal" me direz-vous pour un St Bernard, certes mais voilà ce que nous dit Pierre Dujols, érudit alchimiste moderne :

"Le mercure des philosophes, animé et sublimé selon les règles, doit circuler longtemps dans le vase avant de produire les heureux effets qu’on attend de lui. Mais il y a plusieurs mercures dans l’œuvre, et Philalèthe en signale un second, tout particulièrement, sous le nom de lait de vierge. Celui-ci diffère du premier en quelque chose, bien qu’ils soient tous les deux de même essence. Philalèthe, Ripley et d’autres vont jusqu’à dire qu’il s’agit du mercure commun."

Expression fort répandue et depuis très longtemps dans les écrits alchimistes, le lait de la Vierge trouve en St Bernard le vecteur idéal de messages appréciés des alchimistes et autre ésotéristes attentifs. Quant à nous, peut-être pouvons-nous commencer à comprendre que cette inversion de l'N a valeur de symbole de reconnaissance dans ces milieux que nous pénétrons encore si peu.

Christian Attard

Notes et sources :

(1) - Biographie toulousaine ou dictionnaire historique de personnage... Tome 2 de Étienne Léon Lamonthe-Langon, Jean Théodore Laurent-Gousse, Alexandre Louis Charles André Du Mège - 1823

(2) -
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/voragine/index.htm

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