Joseph Balsamo, le toulousain !




Depuis que Pierre Plantard en préfaçant une réédition de l'ouvrage de l'abbé Boudet "La vraie langue celtique et le cromlech de Rennes-les-Bains" cita parmi une liste hétéroclite d'ouvrages à consulter : "La comtesse de Cagliostro" de Maurice Leblanc, le père d'Arsène Lupin est entré dans l'énigme étendue de Rennes-le-Château.





Joseph Balsamo dit Cagliostro
(
source wikipédia - document libre)

On a voulu voir (1) dans ce livre des aventures du gentleman cambrioleur des allusions à notre histoire, mais il flirte surtout avec l'alchimie, la franc-maçonnerie et comme à son habitude l'aventure mystérieuse et romanesque qui fit aussi les beaux jours d'Alexandre Dumas. 
Cagliostro, le mystérieux aventurier du siècle des lumières est à la fois considéré comme ami de l'humanité, grand propagateur des sciences ésotériques et... un fieffé bonimenteur sicilien, roi des charlatans. Dès lors que croire ?

Giuseppe Balsamo naquit à Palerme en Sicile le 2 juin 1743, du marchand Pietro Balsamo et de Félicita Bracconieri. De son enfance nous savons peu, et rien de certain si ce n'est qu'il entre au couvent des "Fatebenefratelli" à Caltagirone. Il se maria en 1768 avec Lorenza Feliciani puis entreprit de voyager à travers l'Europe. Vivant de petites escroqueries, basées sur ses pseudos pouvoirs ou les charmes de son épouse, il connaît la prison, revient en Italie et repart pour Londres en adoptant le faux titre de comte Alessandro di Cagliostro, il fut aussi Tshio, Melina, Belmonte, conte d’Harat, marquis Pellegrini, prince de la Sainte Croix ( ce dernier titre est à retenir).

Nous sommes en 1776 et sa vie s'infléchit avec son appartenance à une loge maçonnique. Il semble avoir été initié à un rite égyptien à Alexandrie et plus sûrement à Malte
dans la vieille loge  " Secret et Harmonie " et se proclame "grand cophte". Dès lors, il est accueilli dans toute l'Europe avec les plus grands honneurs, précédé par une belle réputation d'alchimiste et de thaumaturge. 
A Strasbourg, il est l'ami du cardinal de Rohan et des plus grands noms de la ville, Louis XVI le protège. Il visite Bordeaux et s'installe un temps à Lyon où il fonde la "Sagesse triomphante" loge-mère de son rite égyptien et est invité aux réunions organisées par les "philalèthes".





Son amitié pour le cardinal de Rohan lui vaudra d'être impliqué dans l'affaire du collier de la Reine et le mènera à la prison puis à l'exil. Prédisant alors la chute de la monarchie et continuant à créer des loges, il n'en devient que plus dangereux. Son retour irréfléchi en Italie le conduira aux geôles pontificales où il mourut d'une crise d'apoplexie le 26 août 1795.

Ainsi s'éteignit celui qui allait inspirer par ses aventures bon nombre d'écrivains. Mais un peu plus d'un siècle plus tôt, vécut à Toulouse un autre Joseph Balsamo, lui aussi originaire de Sicile.
Il n'y aurait rien sûrement de bien exceptionnel à cette homonymie si ce n'était que ce Joseph Balsamo était lui aussi alchimiste et se présentait également comme chevalier de l'ordre de la Sainte Croix.





Lettre d’habitanage accordée le 21 avril 1644 par les capitouls de la ville de Toulouse à Joseph Balsamo, 
 registre BB229 (non folioté) des Archives municipales de la ville de Toulouse.
Nous remercions
M. Géraud de Lavedan de Casaubon.




L'homme a su très vite gagner l'estime de ses contemporains toulousains. Il soigne avec succès, délivre potions et remèdes souvent gratuitement. Il a déjà fait ainsi en Italie, en Suisse, en Espagne et en Allemagne. 
A cette époque, il n'était pas rare de voir arriver dans nos villes des bateleurs mi-rebouteux, mi-charlatans qui se paraient d'un accent imaginaire, s'habillaient à l'italienne et tentaient ainsi d'abuser leur monde. Ils finissaient souvent fort mal car le corps des médicastres préservait leurs bonnes affaires de toute ingérence dangereuse. Le parlement toulousain ne plaisantait pas non plus avec ces messieurs.
Rien de tel avec notre Balsamo qui en remerciement des nombreux bienfaits rendus à la population toulousaine obtient par l'acte ci-dessus (1) le titre officiel de bourgeois de la ville. Ainsi, il se voyait exempté d'impôts, taille, gardes et patrouilles.
L'acte précise en outre que tout autre soigneur étranger devra se soumettre à ses jugements et autorisations pour exercer dans la ville.

En 1630, il est à Revel comme en atteste un document conservé aux Archives départementales du Tarn. Dans cette ville, il dispense ses soins et fait ériger en mai 1630 une grande croix, richement ornée de fleurs de lys rehaussées d'or et d'argent, en présence d'une foule considérable et des plus hautes personnalités régionales. On le signale dans toute la région comme continuant à soulager et guérir à l'aide de ses huiles et onguents.

Joseph Balsamo était déjà reconnu comme bourgeois de la ville de Montpellier, siège de la plus importante faculté de médecine du royaume.
Auparavant, il avait obtenu du roi Louis XIII des lettres de naturalisation qui furent enregistrées au Parlement le 11 mai 1637. Dans ces lettres, il est précisé que le sieur Balsamo vit à Toulouse depuis quatorze années. On peut donc supposer l'année de 1623 comme étant probablement celle de son installation à Toulouse. Il existe également conservé aux Archives de la ville un placard édité par Joseph Balsamo dans lequel il décrit la puissance de ses médecines. 
En 1638, il publie à Toulouse un livre exposant ses recherches et succès contre diverses maladies :" L'Amphithéâtre d'honneur".





Inventaire des biens de M. Joseph Balsamo.
(Photo Christian Attard)




On trouve encore aux Archives départementales de la Haute-Garonne son testament en date du 24 février 1645 retenu par maître Calmels, notaire et un inventaire de ses biens après décès en date de mars 1645. Il y est fait mention de son décès chez les jésuites de la ville de Toulouse. De nombreux objets et écrits en italiens qui sont répertoriés dans cet inventaire attestent de la nationalité première de notre Joseph Balsamo.
En 1650, on ne peut donc lui avoir confié la mission d'aller soigner une forte épidémie qui sévissait dans la ville de Castres à l'aide de ses huiles alchimiques comme le prétendent MM. Breton et Pauwels (2) !





Legs faits au roi Louis XIV par Joseph Balsamo.
(Photo Christian Attard)




La teneur de cet inventaire qui n'a fait à ce jour l'objet d'aucune étude ou publication est pourtant très intéressante. Son étude nous donne quelques indications supplémentaires sur ce que fut la vie de cet homme étonnant et parfaitement intégré dans le plus haute société de son temps. Ce contemporain de l'alchimiste Pierre-Jean Fabre de Castelnaudary qui avait réussi une transmutation un 22 juillet jour dédié à Sainte Madeleine, possédait un vieux tableau de "la Magdalene" et était suffisamment riche pour pouvoir léguer une croix d'or massif et une agate au Roi de France.





Entrée de Louis XIII dans Toulouse




Il est probable qui si Cagliostro avait connu l'existence de notre Joseph Balsamo toulousain, il s'en serait servi pour donner l'illusion d'une exceptionnelle longévité ou aurait mentionné ce parent honorable, il n'en fit rien. On peut donc penser qu'il ne furent pas de la même famille, il reste cependant troublant que tous deux se prétendirent chevalier de la Sainte Croix. Si un très vieil ordre religieux du XIIIème siècle porte ce nom, il ne put décerner aucun titre de chevalier à ses membres qui ne furent que des chanoines. Il reste donc à supposer l'existence d'un mouvement peu connu au sein duquel nos Balsamo se sont peut être initiés à d'antiques sciences car si le doute reste raisonnable sur les propos tenus par Cagliostro, la vie exemplaire de notre Balsamo toulousain ne laissa aucune place au mensonge.
D'une profonde piété, d'un grand respect pour la personne du Roi qu'il avait soigné avec succès, il est peu probable qu'il ait menti sur le point de son appartenance à cet ordre de la Sainte Croix dont étrangement un petit groupe d'alchimiste moderne semblait parfaitement se souvenir.

Christian Attard




Sources :

(1) Le décret faisant suite à cette délibération fut aussi reproduit par Dom Vaissette et Dom Devic dans leur tome XIV, colonne 41-42 de leur monumentale "Histoire du Languedoc"- Éditions Privat- Toulouse de 1876. 
Voir aussi le "Bulletin de la Société archéologique du Midi de la France" de 1897 et l'article de M. le Baron Desazars de Montgailhard : "Un homonyme et un précurseur de Joseph Balsamo sous Louis XIII."
(2) "Histoires magiques de l'histoire de France" de Guy Breton et Louis Pauwels- Albin Michel 2000
(3) "L'Amphithéâtre d'honneur dressé par la France a la mémoire du seigneur Joseph Balsamo, gentilhomme sicilien,... en faveur du secret merveilleus par luy invente et de ses rares et singulières proprietez contre diverses maladies et infirmités... divisé en quatre livres..".
Toulouse- 1638



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