Le Chant de Chronos

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Article initialement publié en 2012 par la revue "L'Ampoule n°6" consacrée aux Machines et Inventions.








Golgotha

Jésus au Golgotha par Théophane le Crétois
Source :  Wikipédia




Là, sur un tout petit écran en noir et blanc s’animent en trois dimensions des homoncules inconnus. Ils bougent, parlent, se battent et meurent sous les yeux attentifs d’une assemblée de savants secrètement réunis dans la pénombre d’un laboratoire italien. Soudain l’un d’eux s’exclame :
« Le revoilà ! »
« Ecce homo », murmure révérencieusement un jeune asiatique à lunettes.
Les images, un temps brouillées, le son, se stabilisent.
La ruelle est étroite, en pente, on se bouscule derrière un groupe de soldats et trois hommes ensanglantés portant sur leurs épaules une lourde pièce de bois.
L’un deux s’arrête, épuisé, son visage et son dos ne sont que plaies ouvertes. On palabre, puis un des militaires avise un badaud plus robuste que les autres et lui fait signe de porter le madrier.
- Simon de Cyrène !
Fasciné le petit groupe de scientifiques va ainsi suivre Jésus vers sa montée au Golgotha puis assister à la crucifixion, entendre ses dernières paroles.
A leur côté, une caméra filme le supplice.



San Giorgio Maggiore

Monastère de San Giorgio Maggiore à Venise
Source :  Wikipédia






En 1964, François Brune attend son vaporetto devant le monastère de San Giorgio Maggiore à Venise. Le jeune prêtre français vient d’y finir un voyage d’étude sur l’influence des églises d’Orient en Occident couronné par l’obtention d’une licence d’écriture sainte. S’il avait pu, à ce moment, se projeter dans son propre avenir il n’aurait pas manqué de relever l’extraordinaire mise en place du destin qui allait dans quelques instants lui faire rencontrer le père Pellegrino Ernetti (1925-1994), moine de cette même abbaye, savant spécialiste mondialement reconnu de la musique pré polyphonique. (1)
Une rencontre qui allait bouleverser son existence.
Brillant théologien, diplômé de physique quantique et subatomique, Ernetti, marqué par une expérience de communication avec un défunt, ne sait pas non plus que le sympathique prêtre français qu’il a invité à venir discuter dans son bureau écrira vingt quatre ans plus tard un best seller mondial traitant de la communication avec les morts «  Les morts nous parlent ». (2)





Le père François Brune


Le regretté père François Brune que j'ai interrogé pour la rédaction de cet article.





C’était le 17 septembre 1952 dans un laboratoire d’acoustique de l’Université du Sacré-Cœur de Milan, le père Ernetti y travaillait sur un enregistrement sur fil magnétique de chant grégorien en compagnie du fondateur de l’établissement le père Agostino Gemelli (1878-1959), un médecin, psychologue, lui aussi spécialiste de physique quantique. Leur bande casse, ils réparent et le père Gemelli implore l’aide de son père décédé, comme il le fait machinalement dès qu’il lui arrive un souci. Quelle n’est pas la surprise des deux hommes lorsqu’en relançant l’enregistrement, ils entendent distinctement ce papa interpeller son franciscain de fils pour lui rappeler qu’il l’aide constamment !
L’enregistrement de cette voix d’outre-tombe est exceptionnellement clair et long. Les deux prêtres sont ébranlés. Si une onde a pu ainsi s’inscrire sur un support magnétique, franchissant les frontières de la mort, serait-il possible que d’autres ondes puissent être captées en provenance de notre passé ? (3) Le pape Pie XII informé, voit là : « Le début d’une étude scientifique pour confirmer la foi dans l’au-delà ».



Le père Gémelli


Le père Gemelli entouré de ses étudiants
(Source Wikipédia)




Le père Gemelli est aussi, depuis 1937, le recteur de l'Académie pontificale des sciences. Cette réunion de scientifiques du monde entier est issue de l’ancienne Académie des Lynx fondée dès 1603. Plusieurs physiciens de grand renom en sont membres dont Niels Bohr (1885-1962), Louis de Broglie (1892-1987), Louis Le Prince Ringuet (1901-2000), Paul Dirac (1902-1984), Erwin schrödinger (1887-1961)…
On peut donc supposer qu’Agostino Gemelli et Pellegrino Ernetti ont su y trouver les cerveaux capables de se réunir autour d’une idée fantastique : faire renaître notre passé commun en se servant des ondes sonores du spectre musical, elles-mêmes constituées de lumière et par essence immortelles. Son et lumière n’étant que les particularités d’une même énergie, l’un devait ramener à l’autre, selon le père Ernetti.
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Le père Ernetti

Le père Peregrinus Ernetti


Le père Ernetti évoquera un scientifique portugais, un autre japonais, l’intérêt de Wernher Von Braun (1912-1977) pourtant fort occupé à cet époque, et bien sûr la présence du grand savant italien Fermi (1901-1954), un autre grand musicologue italien Raffaele Cumar. Mais, il a dit aussi sa réticence à donner des noms. (4) Ils débouchèrent sur les premières retransmissions de faits provenant du passé au cours de l’année 1955. La machine, dit-il, pointe sur une époque puis, cible un individu par tâtonnements jusqu’à s’arrêter sur les ondes qu’il émettait en permanence.

On peut imaginer la joie de ce groupe des douze lorsqu’ils parviennent enfin à voir et entendre leur première retranscription. Pour s’assurer de la véracité des faits remontés des limbes du passé, ils ciblent tout d’abord des événements récents : un discours du pape Pie XII, de Mussolini, de Napoléon, remontent le temps encore et captent les discours Catilinaires de Cicéron en 62 avant J.C. !
Notons que tout cela se situa en Italie à l’exception d’un discours de Napoléon instaurant la République Italienne prononcé à Lyon le 26 janvier 1802. Les premiers essais du chronoviseur car tel est le nom donné au dispositif,  se sont très certainement concentrés sur une aire géographique assez étroite. Mais la tentation de vérifier la véracité des faits relatés dans la Bible conduira nos chercheurs à revoir la formidable explosion qui mit fin à Sodome et Gomorrhe, à retrouver le vrai texte des Dix commandements !

Ernetti réussit même à transcrire une tragédie perdue de Quintus Ennius jouée en 169 avant J.C. peu avant la mort de son auteur.
En spécialiste, il note les inflexions de voix, la prononciation, la musique. Bien sûr, le texte, soumis à la critique d’autres latinistes érudits, suscitera l’étonnement car comment savoir s’il provient bien du passé ?



L Crist


Image supposée issue du Chronoviseur : Jésus et ses disciples.




Autour du Saint Père, les voilà tous maintenant réunis. Il y a là le président de la République, Giovanni Gronchi, son ministre de l’Instruction publique, les membres de l’Académie Pontificale.
L’émotion est intense lorsque la projection des images de la Passion et de la Résurrection du Christ, telle que le chronoviseur les a captées, s’achève.
Le temps de la réflexion, toujours longue en de tels milieux, débouche lui sur une décision surprenante : l’appareil doit être démonté. Il ne devra plus désormais explorer notre passé. Cette décision, notons-le bien fut collégiale, le père Ernetti ne put qu’obéir et s’incliner à la raison commune.

Ainsi finit donc dans une de ces fameuses caves du Vatican et en morceaux éparses la plus fabuleuse invention de l’homme. C’est en tout cas comme cela que François Brune qui enquêta patiemment sur cette découverte nous relata son histoire.
Le sulpicien français, que j’ai contacté pour la rédaction de cet article, a connu intimement le père Ernetti et reste encore aujourd’hui profondément persuadé que le prêtre vénitien lu a toujours dit la vérité.
Il a senti tout au long de son enquête en Italie sympathie mais aussi manipulations. Certains comme le sulfureux Giulio Andréotti, ami du père Ernetti l’ont ouvertement baladé, d’autres ont jeté la suspicion sur la santé mentale du savant italien ou sous-entendu qu’il avait fraudé.  Mais son cher neveu, Aprilio Ernetti persiste à dire que tout a été vrai.

Pourquoi cette machine fut-elle démantelée ? Etrangement, c’est la littérature qui s’est souvent inspirée du thème de la machine à remonter le temps qui va nous aider à le comprendre.

Dès  1947, Thomas L. Sherred dans sa nouvelle « E for effort » avait mis en scène une invention totalement similaire au chronoviseur. Cette machine permettait à son créateur de projeter des films sur les grands événements du passé. Ces films révélant le côté sombre de notre histoire et provoquant des manifestations violentes conduiront à la mise à mort de l’inventeur et la destruction des plans de la machine.
En 1949, dans « Private eye » de Lewis Padgett, le protagoniste imagine un crime qui puisse échapper au tout puissant contrôle de l’état possesseur d’une machine à scruter le temps.
En 1953, Philip K. Dick  dans « La Clause du salaire » (paycheck) nous raconte les mésaventures d’un ingénieur chargé avec une telle machine de voler des secrets industriels.
En 1956, dans « Les cendres du passé » (The past dead), le grand Isaac Asimov imagine une machine semblable au chronoviseur : le chronoscope, possession exclusive d’un état qui contrôle tout regard trop incisif sur l’histoire.

Nous le comprenons une telle invention ne pouvait qu’effrayer les hautes instances du Vatican et du gouvernement italien. Comment oser imaginer que les sombres secrets et complots qui ont fait l’histoire puissent un jour paraître au grand jour ? Comment accepter dans les années soixante que plus aucune intimité ne puisse exister sur terre avant que ne soit inventée une autre machine plus perfide encore et que l’on nomme Internet ? Internet qui aujourd’hui se fait le relais déformant de l’invention du père Ernetti au point de lui ôter toute crédibilité.


Le père François Brune est un homme que l’on ne peut soupçonner ni de naïveté, ni de manipulation.
Cependant son récit appelle plusieurs commentaires ou interrogations.

Si ce secret devait être absolu, comment comprendre que le père Ernetti ait donné plusieurs interviews ou conférences et parfois à des journaux réputés peu sérieux. Interventions où il ne dément jamais la création du chronoviseur. Comment expliquer qu’un savant d’un tel renom ait accepté de remettre en question le labeur de toute une vie au point qu’aujourd’hui son nom sur Internet ne soit que synonyme de chronoviseur et n’évoque plus l’extrême acuité de ses recherches en musicologie ? Il semble donc que la découverte ait été trop grande pour en taire totalement l’existence, ce à quoi son initiateur n’a pu se résoudre malgré son devoir d’obéissance.
Servant de tampon médiatique, l’absence de preuve ou de témoignage directs renvoyait toutes ces déclarations au doute féroce ou bienveillant selon ses interlocuteurs.
Mais l’absence de dénégation des autorités religieuses à propos du chronoviseur s’explique-t-elle par une volonté de ne pas publiquement mentir (car démentir sera peut-être demain avoir menti) ou par le respect qu’impose l’intelligence du père Ernetti ?

Est-il possible que l’équipe du chronoviseur ait été le jouet d’entités parallèles à notre monde ? Le statut d’exorciseur de Venise du père Ernetti le rendait-il plus « sensible » à ce genre de manifestations ? (5)

Alors, il est fort probable que les images reçues auraient éloigné les témoins de toute croyance religieuse, ce qui fut loin, semble-t-il, d’être le cas. D’autre part, certaines transmissions trahissant par exemple un hold-up qui allait se produire à Rome et qui fut stoppé avant sa réalisation prouvent que ce ne furent pas uniquement des projections de l’inconscient des chercheurs !
Un prêtre instable psychiquement n’aurait pas non plus gardé la confiance du pape. Or l’exorciste de Rome, le père Amorth rapporte que le père Ernetti avait porte ouverte auprès de Jean-Paul II.

Fallait-il, au contraire, à la veille du concile de Vatican II renforcer les fondements même du christianisme à savoir la Résurrection du Christ par un constat scientifique alors que les nouveaux exégètes de la Bible iraient même jusqu’à parler de « nouvel éveil » plutôt que de Résurrection ? (6) Le père Ernetti se serait-il sacrifié à cette cause ? Cela encore est inconcevable et ne peut même se concevoir dans l’esprit d’un théologien de la valeur du bénédictin de San Giorgio.

Comment concevoir alors les contradictions si sensibles qu’apporte le chronoviseur dans sa vision de la passion du Christ ?
En effet, il ne décrit pas celle-ci en parfaite conformité avec les évangiles synoptiques, pas plus qu’avec le crédo arrêté à ce sujet par les intellectuels et historiens de l’église comme Mgr Barbier de Montault.
Sur son chemin de croix, le Christ du chronoviseur ne tombe pas. Alors que les évangiles le disent être tombé plusieurs fois comme l’aurait décrit aussi la voyante Anna Katharina Emmerick (1774-1824), béatifiée en 2004 par Jean-Paul II.

Où dès lors, se trouve la vérité ?
Et, en supposant que le chronoviseur fut vrai, rapportait-t-il un point de vue objectif des faits ou bien était-ce une vision purement subjective de la personne émettrice ?
La question est d’importance et le père Ernetti de préciser que les images en 3D qu’il reçoit montrent le personnage ciblé dans son environnement et ne sont pas cet environnement vu par ses yeux. Les évangiles nous donneraient donc à lire une vie du Christ plus symbolique que réelle ?

Personne aujourd’hui ne pourra répondre à toutes ces interrogations, aucun témoin direct des faits ne s’étant jamais manifesté.
Pourtant sur la piste de la vérité un indice infime pourrait peut-être nous éclairer.

Les images reconstituées par le chronoviseur, nous dit le père Ernetti, arrivèrent sur un espace où elles se matérialisaient en trois dimensions. Or en 1955, la technique télévisuelle fonctionne depuis plus de vingt ans mais il n’est bien sûr pas question de relief. Celui existe au cinéma depuis 1935 aussi, mais doit être relayé par le port de lunettes spéciales. Ces simulations de relief ne peuvent être rapprochées de la description donnée par le bénédictin. Seule la technique de l’holographie peut rendre ce qu’il vit. Or en 1955, elle n’était pas encore inventée ! Du moins, peut-être pas officiellement car tout les éléments techniques était pourtant réunis pour que cela soit possible.

A l’extrême supposition que l’équipe de scientifiques du chronoviseur ait réussi à capter un type d’ondes précises du spectre musical.  On peut leur accorder la possibilité qu’elles soient porteuses d’informations liées au sujet mais pour que relief il y est, il faut leur adjoindre une information dite de référence, un faisceau cohérent de ce même type d’ondes. Pour la restitution en trois dimensions des images contenues dans ces ondes un même faisceau cohérent est nécessaire, c’est le laser. Or, à la date de création du chronoviseur venait tout juste d’être inventé un équivalent du laser, le maser et son inventeur l’américain Charles Hard Townes se trouve faire partie depuis 1983 de l’Académie pontificale. Avec cette invention et celle de Dennis Gabor, l’hologramme est rendu techniquement possible au milieu des années cinquante.
Cependant seuls des physiciens de haut rang ont pu concevoir et mettre en place une éventuelle projection issues de micro-ondes.

Comme malheureusement en bien des mystères et des phénomènes inexpliqués, la preuve absolue et scientifique nous fait défaut.
Si le chronoviseur dort démembré en une quelconque cave italienne ou suisse, ses plans furent, nous dit, le padre Ernetti mis en sécurité en Suisse et au Japon.
L’attente d’une plus grande maturité de l’humanité lui permettant d’affronter ses propres démons nous autorise à croire que cette moderne boîte de Pandore ne s’ouvrira plus. A moins qu’un petit noyau de chercheurs courageux et détachés de toute autorité, fut-elle religieuse n’ose relever le défi…
C’est ce qu’un contact autorisé en Allemagne nous laisse à penser. Et aux toutes dernières nouvelles, la fréquence de Chronos venait enfin après de longues années d’être retrouvées…


Christian Attard






Notes et sources





1. Nous devons au père Ernetti :  Les principes philosophiques et théologiques de la musique  – Edi Pan Rome 1980 en 564 pages et plus de 70 ouvrages consacrés à la musique pré-polyphonique et au chant grégorien.
2 . Les morts nous parlent, Le Félin, 1988, 2ème édition Philippe Lebaud, 1996, 3ème édition, Oxus, 2005
3. Le récit de cette expérience fut publié en 1990 par la revue Astra.
4. Le père Ernetti donna une série d’interviews dont le premier semble être au journaliste Vincenzo Maddaloni pour la Domenica del corriere de Milan le 2 mai 1972.
5. Le père Ernetti a écrit deux opuscules sur sa fonction d’exorciste : Le catéchisme de Satan en 1993 et Nous sommes tous exorcistes en 1992.
6 . Voir par exemple p.2370 de « La nouvelle traduction de la Bible » chez Bayard en 2001 ; Lorsque les anges disent aux saintes femmes venues préparer le corps du Christ : » Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici. Il a été réveillé.







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